Le vent et les fleurs du printemps

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From another life I left behind.

Le vent et les fleurs du printemps

Un rictus se dressa à la place où elle devait apercevoir un sourire, et même quand elle se tortillait pour se glisser entre ses bras, elle ne retrouva pas cette expression de bien-être qui se reflétait dans ses yeux à chaque fois qu’il l’accueillait contre son cœur. Au lieu de cela son regard resta figé sur la surface plane de l’eau, suivant les ondes provoqués par l’atterrissage de quelques volatiles de passage.

Le reflet du soleil commençait à se retirer vers le bord opposé de ce lac artificiel, installé récemment par la mairie de la ville au milieu du parc, L’astre brillait d’un rouge intense, annonçant un lendemain chaud et lumineux, avant de plonger entre les immeubles jonchés ça et là. C’était un mois de mars comme il n’en avait jamais vu dans ce pays ou le froid est règle et la grisaille est loi. Un printemps chaud et fleurit avait pris logis dans les rues et les jardins de la ville. Malgré cela, il avait l’impression qu’un hivers long et froid refusait de quitter son cœur. Il la sentit se blottir de plus en plus contre lui, Une brise fraîche vint caresser sa longue chevelure châtain et ses épaules dénudés. Un frisson le traversa à son tour. Il aimait le froid, il aimait l’hiver. Elle préférait les journées chaudes de l’été. Il ramassa sa veste posée à une longueur de bras sur l’herbe moite, couvrit sa compagne et la serra contre lui. Ses yeux se plongèrent dans les siens et il se mit à passer ses doigts dans ses cheveux, sans dire un mot. Elle était habituée à ces longs moments de silence. Elle savait qu’il ne fallait pas l’interrompre. Elle était consciente de ce qui le tourmentait, alors à quoi bon remuer le couteau dans la plaie.

Ils se sont rencontrés, il y a quelques années, dans ce même parc et ils avaient, depuis, pris l’habitude de s’y donner rendez-vous. Il disait qu’à chaque fois qu’il la retrouvait ici, il avait l’impression de revivre leur première rencontre. C’était un jour comme aujourd’hui, chaud mais traversé par un vent hésitant, soufflant de temps en temps et reprenant ses esprits le reste du temps. Il s’était installé à même le sol s’accoudant sur son sac en toile. Il avait abandonné son calepin dans lequel il avait l’habitude de tracer ce qui lui traversait l’esprit, pour un roman qu’on venait de lui offrir et dont on disait le plus grand bien. Soudain, sortant de sa léthargie, le vent souffla de toute ses forces, comme la dernière note, longue et aiguë, que jouerait un guitariste virtuose pour annoncer la fin de son solo. Les fleurs parsemées entre les arbres rentrèrent dans une danse frénétique, provoquée par ce souffle puissant couplé aux battements des ailes de pigeons venu picorer ce que daignaient leur laisser les riverains. Une écharpe de soie blanche venait se joindre à ce bal, traversant le nuage de fleurs d’amandiers pour atterrir sur son visage. Elle était embaumée d’un parfum doux et discret, qui lui fit tourner, brièvement, la tête, Il en pris une pleine bouffé avant de l’écarter et découvrir un sourire furtif qui se dessina entre les lèvres de celle qu’il supposa propriétaire de ce vêtement. Il le lui tendit mais ne le lâcha pas. Elle sourit encore, et tira sur l’écharpe en se dirigeant vers le cercles d’amis qu’elle venait de quitter à la rescousse de son foulard. Mais ne lâchant toujours pas prise il dit : « Le vent et les fleurs du printemps avaient décidé qu’on devait se croiser ici même. Si je te redonne ton écharpe, leur plan est foiré. Je ne voudrais pas les laisser tomber, ce sont des amis de longues date. » Son sourire ne fut pas furtif cette fois ci et se prolongea par un petit rire semblable à un gloussement d’enfant. « Je… Je ne suis pas seule. Mes amis… Regarde, ils sont là-bas sous l’amandier. » répondit-elle en pointant de sa main libre, un groupe de jeunes étudiants accroupis en cercle autour d’un amas de sac-à-dos et de bandoulières. « Si tu veux, joins toi à nous. Il y a à boire et à manger. On avait prévu un pique-nique. Ils passèrent, ensuite, la soirée à se chercher du regard, s’ils n’étaient pas l’un à coté de l’autre et la nuit suivante, à ne plus se quitter du regard, comme s’ils cherchaient un trésor ancien, enfoui dans les yeux de chacun.

« Azam… Murmura-t-elle coupant ce silence qui s’éternisait. J’ai froid. Je veux rentrer. » il sursauta au son de sa voix comme s’il venait de s’apercevoir qu’elle était sur ses genoux, sourit et se baissa légèrement pour déposer un baiser sur ses lèvres avant de l’inviter par un geste lent à se relever et commencer leur marche habituelle vers leur petite rue. En sortant du parc, elle glissa son bras sous le sien et annonça sur un ton qu’elle voulait apaisant : « Ne t’en fais pas. J’ai vu mon père aujourd’hui et il nous propose de nous installer dans l’appartement qu’il voulait louer. Et tu sais quoi ? On n’aura qu’à payer la moitié du loyer qu’il avait prévu. »

Il savait bien que le père d’Ayda ne l’avait proposé de bon cœur mais après qu’elle l’ait supplié, elle se serait même fondu en larmes, supposa-t-il. Avant quelques mois de la rentrée dernière, l’académie avait annoncé la suppression de quelques milliers de postes d’enseignants. Le nouveau gouvernement en place, avait décidé de réduire le budget de l’enseignement au profit de celui de la défense. La situation politique internationale devenait alarmante. Les troubles en moyen et proche orient venait à se multiplier. Même son pays natale devenait une menace militaire à prendre au sérieux. Les grandes puissances mondiales commençaient, en ces temps troubles, une course vers l’armement. Le monde entier était sur le qui-vive. Il avait quitté son pays après avoir fini le secondaire. Des études d’histoire à l’étranger était une porte de sortie inespérée. Sa mère lui disait qu’il fuyait la tyrannie, certes sans combattre, mais que c’était une fuite vers l’avant. « Va chercher les armes où elles sont, puis reviens mon fils. Notre pays a besoin de toutes ses ressources, plus que jamais. » Mais il n’était pas revenu. C’était peut être la faute de l’écharpe en soie blanche ou celle de sa lâcheté. En tout cas, aujourd’hui il se retrouvait sans travail. Des mois de recherches avaient donné une pile de lettres de refus de toutes les académies du pays et d’une vingtaines d’écoles privées. Le rédacteur en chef d’un hebdomadaire dans lequel il occupait une page de chroniques, lui avait fait comprendre que s’il voulait la garder, il devait adopter une position totalement hostile face à son pays. Il refusa fermement, perdant ainsi son dernier gagne pain. Le propriétaire de l’appartement qu’il occupait avec Ayda, depuis trois ans, avait eu la sympathie de les laisser se remettre sur pied, avant de se lasser des retards et des impayés.

Il regarda tendrement sa compagne, accrochée à son bras, alors qu’ils commençaient à peine la longue montée menant chez eux. « Tu es le derniers trésor qui me reste. » Dit-il pour la sortir à son tour de ses rêveries. « Je serais toujours là… Tu ne voudrais pas trahir le vent et les fleurs du printemps? » Répliqua-t-elle en essayant de détendre cette atmosphère pesante. Ayda, était psychologue dans une maison de repos pour personnes âgées. Elle aimait son métier, mais les postes devenaient de plus en plus rares et elle ne pratiquait que quelques heures par semaine. Son maigre revenu ne leur permettait pas de continuer le même train de vie. Ils avaient déjà épuisé toutes leurs économies pour le conserver et elle se refusait à présent de voir Azam multiplier les petits boulots qui l’éloigneraient de son domaine de prédilection. Elle était prête à tout pour lui. Son père n’avait pas approuvé leur relation. « Il a la tête dans les nuages ce garçon! Je ne veux pas te voir avec quelqu’un qui n’a aucune perspective d’avenir. Ce n’est pas quelques mots dans un journal ou sur un tableau, qui vous offriront une bonne situation. » Lui répétait-il sans cesse. Mais elle l’aimait. Elle l’aimait pour ce qu’il était rêveur, passionné… et qu’importe sa situation ou ce que disait son père, elle l’aimera toujours et sera là jusqu’à la fin.

Il la serra contre lui, comme s’il avait deviné cette déclaration d’amour silencieuse. Il la sentit trembloter. Le froid s’intensifiait. Il vérifia ce qui lui restait en poche, puis fit signe à un taxi. « Un trésor doit rester au chaud. Il me reste quelques billets, ne t’en fait pas. » Dit-il pour répondre au regard inquiet que lui lançait Ayda. Pourtant, il savait qu’à la fin de la course du taxi, il ne lui resterait plus un seul centime.